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Tapage nocturne à l'hôpital

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5 h 40. Les lueurs du jour s’annoncent tranquillement. Mes jambes et ma tête sont lourdes de la dizaine de kilomètres parcourue dans la nuit pour la visite quotidienne de la vingtaine de services dont j’ai la charge et surtout des soignants solitaires qui les assument. Ces visites sont entrecoupées de multiples déplacements chronophages comme les recherches de dossiers d’entrants en urgence, qui incombent aux cadres faute d’autre «procédure» (aucune infirmière ne pouvant abandonner son service dans ces conditions d’effectif minimum), auxquelles il faut ajouter l’incessant ballet qu’occasionnent les transports de médicaments ou de matériel manquants d’un service, voire d’un bâtiment à l’autre, conséquence d’une gestion de la pharmacie de plus en plus «en flux tendu», ainsi que les rencontres des familles des personnes en situation précaire que nous essayons d’accueillir au mieux... Tout cela s’ajoutant à la gestion des plannings et à l’administration qui va avec toute fonction d’encadrement, c’est dans un état d’épuisement avancé que je termine ma «tournée» des popotes et que je rencontre Denis dans son service d’hématologie. C’est son avant-dernière nuit. Denis vient de démissionner parce qu’il «n’en peut plus d’écouter tous ces gens touchés par une maladie très grave». Entendre nuit après nuit des patients de tous âges (et en hématologie il s’agit souvent de patients très jeunes) relater l’histoire de leur malheur lui est devenu insupportable. Ce n’est pas la première fois que Denis me tient ces propos. Nous avons souvent discuté de ces aspects délétères du métier et il fait partie de cette génération de jeunes soignants qui oscillent entre une vraie générosité d’âme et la crainte, souvent exprimée, de trop s’engager et de se perdre. Pourtant, Denis est un excellent soignant, très apprécié de ses patients comme du reste de l’équipe. C’est paradoxalement son intelligence des situations et sa sensibilité qui le rendent précieux, mais également le font fuir faute de trouver les moyens de se ressourcer suffisamment pour tenir. Ses compétences ne suffisent pas à l’aider dans cette fréquentation quotidienne de la mort annoncée avec tout ce qu’elle trimballe de confrontation à la peur de mourir qui nous est renvoyée à longueur de temps. Son refus de tout engagement, autre que directement professionnel, le laisse seul face à une problématique qui est précisément, à mon sens, celle d’un défaut d’engagement de la profession toute entière pour faire reconnaitre une pénibilité très spécifique, bien au-delà des horaires atypiques et de la charge objective de travail (dont il ne faut pour autant pas négliger l’impact...). La négligence, par l’institution, de l’usure de la générosité des soignants face à la demande d’être entendus, sans cesse exprimée par les patients (qui eux se renouvellent...), fait partie de ces indicibles de la profession infirmière qui se croit obligée de passer par dessus ses propres limites. C’est là où le bât blesse. Trop c’est trop, même quand on a choisi ce métier, qu’on aime l’exercer et qu’on y trouve globalement son compte. Pour accéder à l’équilibre, il faut apprendre à mesurer son engagement et, contrairement à la pharmacopée, la dose n’est jamais donnée d’emblée. Il n’y a pas de recette et pourtant, il faut faire face comme si cela allait de soi. Chacun doit chercher dans son propre «fond» la manière d’approcher l’autre sans se confondre, de le toucher sans se brûler, de trouver une distance qui ne soit pas trop grande pour entendre ce qui ne se dit pas ni trop étroite afin de garder sa capacité de raisonnement et de soutien. C’est une aventure individuelle mais qui ne peut se mener sans danger qu’avec le soutien d’un collectif favorable et c’est précisément ce qui fait de plus en plus défaut à l’hôpital. Denis en veut particulièrement au «management» nouvelle formule qui ignore l’essentiel des conditions nécessaires à un soignant pour faire face à sa «mission impossible» tout en édictant des règles de plus en plus exigeantes. L’augmentation des contraintes dans un milieu déjà très hiérarchisé rebute de plus en plus de personnes et il serait temps de se réveiller avant qu’il ne soit trop tard. Si la profession ne fait pas très vite l’inventaire de ses erreurs, il ne restera bientôt plus que «l’ordre des infirmières» pour pleurer... dans le désert. • Anne Perraut Soliveres • Réagissez à l'article Rédigé le 12/08/2007 à 07:40 dans Hôpital | Lien permanent

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